mercredi 21 septembre 2011

L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea

L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot est un documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea. Ce qui justifie le titre abracadabrantesque et récursif de cette critique. Réalisé en 2009, il met en scène Romy Schneider, Serge Reggiani, Bérénice Bejo, Catherine Allegret, Gilbert Amy et Jean-Louis Ducarme.



C'est facile d'émouvoir les cinéphiles sur le tragique décès d'un film qui semble terriblement ambitieux ou prometteur. Pas étonnant donc que Lost in La Mancha, consacré au Don Quichotte de Terry gilliam fonctionne si bien. L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot joue sur la même corde sensible et nous présente ce qui aurait pu être un chef d'œuvre et qui se résume au final à des kilomètres de rush inutilisables.

Tout commence en 1964, alors qu'Henri-Georges Clouzot est déjà au sommet de sa carrière (Lion d'or à la Mostra de Venise 1949 pour Manon, Grand prix au Festival de Cannes 1953 pour Le Salaire de la peur). Clouzot se lance dans un projet titanesque : avec un budget illimité assuré par des producteurs américains, il veut tourner L'Enfer, l'histoire d'un couple au départ ordinaire, Marcel et Odette, mais dont l'époux est dévoré par une jalousie maladive.

L'idée est de tourner en noir et blanc les scènes de la vie réelle, et en couleur les délires paranoïaques de Marcel, qui s'imagine continuellement qu'Odette le trompe. Ces scènes de délire, déformées, filmées à travers un kaléidoscope ou traitées par divers filtres, sont le théâtre d'une expérimentation visuelle et sonore sans commune mesure. Perdant des mois, Clouzot expérimente, filmant plus d'une centaines d'heures d'essais techniques, tous plus innovants les uns que les autres. Pourtant, quand il se lance dans le tournage, il n'est toujours pas prêt, malgré les contraintes temporelles fortes qu'ils s'impose : en effet, le lac utilisé comme décors principal n'est pas disponible toute l'année (à cause d'un barrage).

Clouzot est un tyran sur le plateau. Il a plusieurs équipes mais veut tout superviser. Rien n'avance. Serge Reggiani, possédé par son rôle mais sans cesse poussé à bout par Clouzot, finit par claquer la porte. Quelques jours plus tard Clouzot fait une crise cardiaque et est contraint d'abandonner son projet, trop ambitieux pour pouvoir être achevé.

Ne reste que des rushes, mais quels rushes ! Il faut entendre des phrases ordinaires, murmurées à l'infini, qui forment un canon, évoquant à la fois la tradition baroque et les expérimentations sonores de la musique contemporaine. Il faut voir ce lac ensanglanté, obtenu par inversion de couleur, et comprendre que si dans un même plan l'eau nous parait rouge et la peau d'Odette nous semble blanche, c'est parce qu'elle est maquillée avec les couleurs complémentaires de son teint naturel.

L'Enfer aurait certainement été un grand film. En attendant, le documentaire consacré à sa genèse et à sa mort et une grande tragédie.

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