Kiyoshi Kurosawa ne fait pas que des yurei eiga. Certes, Kairo, Séance, Loft et Rétribution peuvent facilement êtres classés dans le genre, mais à chaque fois les éléments surnaturels sont là pour souligner un propos réaliste et réfléchi sur des problèmes profonds. Ici nous avons donc un drame social sans fantômes ni la moindre once de cinéma fantastique, et pourtant le style inimitable de Kiyoshi Kurosawa se perçoit sur chaque plan.
C'est l'histoire d'une famille japonaise plutôt aisée. La mère est femme au foyer. Le père est absent, pris par son travail. Un jour il est licencié pour des raisons économiques. Incapable de l'avouer à son épouse, il profite de ses indemnités de licenciement pour lui cacher la vérité et continue tous les matins à prétendre partir au bureau. En faisant la queue pour obtenir un bol de soupe gratuite il rencontre un autre sans emploi dans la même situation que lui... Privé de son travail, qui le définissait, il compense son impuissance par une autorité de plus en plus tyrannique sur sa famille.
Tokyo Sonata c'est une famille qui se disloque par manque de communication. C'est un homme trop fière pour avouer ses faiblesses qui se retrouve privé de sa place dans la société. Son fils ainé fuit en entrant dans l'armé américaine. Son cadet tente de s'échapper par la musique et demande à suivre des cours de piano, cours que lui refuse son père. C'est terriblement déprimant, avec les deux thèmes majeurs de Kurosawa : l'impossibilité de communiquer et une société déshumanisante... Tout dérive et se désagrège. Au milieu de tout ça nous avons un gamin qui tente d'apprendre le piano en répétant sur un clavier cassé, récupéré dans un poubelle et parfaitement silencieux.
Et puis c'est la grande surprise : les morceaux finissent par se recoller. Là où le spectateur attend un dénouement tragique à la Kairo, il découvre un message presque optimiste. Il n'y a que quelques protagonistes qui se suicident et les autres passent au travers et se relèvent... On est à des kilomètres de l'inexorable déroulement de Charisma, de Jellyfish et de Cure...
Tokyo Sonata est incontournable. Il peut sembler irréaliste ou maladroit mais ce ne sont que des défauts superficiels. Au fond il est parfaitement réglé, calculé et raconté. Jellyfish du même réalisateur avait été nominé pour la palme d'or en 2003 mais n'avais reçu aucun prix à Cannes. Tokyo Sonata a décroché en 2008 le prix du jury dans la catégorie Un certain regard. Il était vraiment temps que le talent de Kiyoshi Kurosawa soit pleinement reconnu.
Enfin, pour conclure, ça fait plaisir d'entendre le mouvement Clair de Lune des Suite bergamasque de Claude Debussy intégralement interprété. Cette pièce pour piano est si populaire au cinéma qu'il est frustrant d'en entendre éternellement quelques notes sans jamais pouvoir l'écouter du début à la fin.
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